lundi 15 février 2010

Figures féminines de Montmartre - part. I/2 : La Goulue


Mon billet sur le Musée de Montmartre me donne l'occasion de parler des femmes marquantes de Montmartre. Je dois dire que, dans une époque où les femmes sont acculées à devenir épouse et mère au foyer qui, lorsque leur condition sociale l'exige souvent, n'ont d'autre perspective que de gagner un maigre salaire comme couturière, blanchisseuse, domestique dans le meilleur des cas, vendeuses de quatre saisons, vendeuse d'allumettes ou même prostituée dans le pire des cas, il est difficile de relever des occurences de femmes ayant marqué l'histoire de Montmartre.

Les deux femmes dont j'ai choisi de vous parler ont d'ailleurs commencé leur vie sur ce modèle banal de la petite blanchisseuse mais ont vu leur destin basculer par le hasard des rencontres, par le refus, ou l'impossibilité financière, de se conformer à un mode de vie "normal". La première est certainement LA figure féminine de Montmartre, connue mondialement ne serait-ce par les affiches que le peintre Toulouse-Lautrec a fait d'elle : j'ai nommé la Goulue, célèbre danseuse de cancan au Moulin-Rouge.  

De son vrai nom Louise Weber, la "Goulue" nait à Clichy en 1866, d'une mère blanchisseuse. A 16 ans, sans surprise, elle commence à travailler avec sa mère, et une fois le soir venu, elle "emprunte" les robes des clientes pour courrir les bals alentours puis les établissements comme le Grand Vefour ou l'Elysée Montmartre. Sa gouaille et son entrain canaille la font vite remarquer.

Un jour elle y fait la connaissance du peintre Auguste Renoir qui lui propose de poser pour lui. De modèle à prostituée, il n'y a qu'un pas qu'elle franchit rapidement. Un soir, elle se fait repérer par le directeur du Moulin-Rouge qui l'engage aussitôt. Elle devient alors la reine des lieux.



Les hommes se pressent au premier pour la voir, elle et ses compères Grille d'Egoût, Nini-patte-en-l'air ou encore la môme fromage, pour ne citer qu'elles, exhiber, à tours de jupons relevés lors de chahuts et de cancans endiablés, un bout de leur culotte, et pour avoir le plaisir de se faire ôter leur chapeau d'un coup de pied habile.

L'intérieur du Moulin Rouge, 1906

Qu'on ne s'y trompe pas, le Moulin-Rouge a une clientèle des plus hétéroclites : du rapin sans le sou au notable et son épouse venus s'encanailler, en passant par le Prince de Galles, c'est le tout Paris qui s'y presse. D'ailleurs la Goulue, immortalisée alors par le peintre Toulouse-Lautrec pour les affiches du Moulin-Rouge, gagne bien sa vie, ce qui lui permet de s'offrir une belle maison avec jardin à Montmartre. Mais sa célébrité et sa richesse lui montent à la tête, elle a un caractère insupportable, se permet d'apostropher les grands de ce monde, et a la main lourde sur la bouteille (d'où notamment son surnom de la Goulue).



En 1895, elle décide de quitter le Moulin-Rouge et investit sa fortune dans une baraque foraine, croyant à la réussite sur la seule présence de son nom. C'est un échec total. La même année, elle donne naissance à un fils, né de père inconnu (il s'agit rien moins que d'un prince selon elle). Quelques années plus tard, on la retrouve dans des numéros de domptage de lions, en association avec Pezon d'abord, puis avec son mari, un magicien devenu dompteur qu'elle a épousé en 1900. Suite à un drame au cours duquel un des lions agresse son mari, ils ferment boutique. C'est la déchéance la plus totale.


Elle engloutit ses dernières économies dans la boisson et la fête. En 1914, son mari, dont elle s'est séparée entre temps, meurt à la guerre, puis, en 1923, c'est son fils qui décède. Sa vie se finit dans l'alcolisme et la misère. Elle vit dans une roulotte à St-Ouen, vend des cigarettes et des allumettes dans la rue où parfois quelques passants reconnaissent dans cette vieille femme, grosse et édentée, l'ex-reine de Paris. Elle décède finalement en 1923 à l'hôpital Lariboisière, à l'âge de 63 ans, et dans une quasi indifférence.

Destin tristement célèbre que celui de La Goulue. Elle aura ces quelques mots avant sa mort : "Mon père, est-ce que le Bon Dieu me pardonnera ? Y aura-t-il une place pour moi au ciel. C'est que je suis la Goulue."



NdlA : Si vous aimez le Montmartre de l'époque, celui de l'âge d'or des peintres et des cabarets, plongez-vous dans Le Carrefour des écrasés de Claude Izner. Ce roman de la série "Grands Détectives", édité chez 10/18, sous prétexte de vous divertir, est une mine d'informations sur le quotidien de cette époque et vous fera entrer dans l'enceinte du Moulin-Rouge où vous rencontrerez la Goulue.






Sources et photos : Wikipedia et Du temps des cerises aux feuilles mortes et Parisienne de Photographie



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